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Chapitre 3: Etre ou ne pas être Marchombre ?

Ce fut l'unique fois en quatre jours, que la jeune femme trahit quoi que ce soit et l'apprentie de Jilano n'apprit rien de plus. Lorsqu'elle parvint au point de rendez-vous, le Marchombre était déjà là. Exact, comme toujours. À peine l’eut-elle aperçu, que Tyra pivota pour rebrousser chemin et s'éloigna, à la grande stupéfaction de la jeune humaine qui voyait ainsi ses suppositions vérifiées, sans pourtant parvenir à comprendre pourquoi elle réagissait de cette façon.
- Attends-moi là, lui demanda son mentor avant de rejoindre l'elfe. Tyra, attend.
Comme cette dernière l'ignorait, il l'attrapa par le bras avec douceur.
- Tu ne peux pas continuer à me fuir de cette façon, lui dit-il en elfique de façon à n’être compris que d'elle.
- Je ne « fuis » pas, rétorqua-t-elle dans la même langue en tournant brusquement le visage vers lui. Je ne « fuis » jamais. Je ne veux tout simplement pas te voir.
- Cela fait huit ans Tyra. Ne peux-tu oublier ?
Le regard qu’elle lui jeta valait mieux qu’un long discours. Il y eut un bref silence, puis le Marchombre reprit :
- Tu sais parfaitement pour quelle raison cela s'est terminé. Nos voies divergeaient trop. Pourtant, ta place t’attend toujours. Tu ferais une grande Marchombre, j'en suis persuadé.
Il y eut un nouveau silence, lourd de tristesse contenue.
- Tu es un lâche, cracha l’elfe en dardant sur lui un regard peu amène.
- Je suis lâche parce que j’ai refusé de te suivre sur cette voie ? demanda-t-il doucement.
- Tu sais parfaitement ce que je veux dire…
De nouveau un silence.
- Jamais tu n’as cherché à me comprendre, l’accusa la jeune femme.
- C’est faux et tu le sais.
- Ce jour-là, tu m'as brisé le cœur, lâcha enfin l’assassin dans un souffle.
- Je sais, se contenta-t-il de dire.
Comment aurait-il pu réfuter cet argument puisqu’il s’agissait de l’entière vérité ? Oui il l’avait aimée. Passionnément. Comment aurait-il pu en être autrement ? Elle était belle, libre, aussi indomptable que le vent… Ils s’étais aimés plusieurs mois et, lorsqu’il avait pris conscience du fossé qui séparait leurs deux voies, il avait essayé de la prendre comme apprentie. Une Marchombre dotée de capacités comme celles de Tyra aurait été un atout pour la Voie et il espérait ainsi faire changer sa mentalité d’assassin. Mais l’elfe était bien trop fière et surtout bien trop échaudée par ses précédents maitres pour en accepter un troisième, même s’il s’agissait de lui. Alors, la mort dans l’âme, il s’était résolu à mettre un terme à leur relation. Un Marchombre aime bien trop la vie pour lier ses pas à qui n’en a que faire. Bien sur, la jeune femme l’avait extrêmement mal pris. Comment aurait-il pu en être autrement étant donné son caractère ? Il avait espéré que ces années passées auraient eu raison de sa rancœur, mais manifestement il n’en était rien.
L’homme soupira.
- Ce que je t'avais proposé à l'époque tiens toujours, déclara-t-il soudain.
- Et je t’avais déjà dis non à l’époque, rétorqua-t-elle froidement.
- Tu devrais réfléchir davantage Tyra.
- Tu me demandes d'abandonner ma vie ?
- Je ne te demande rien. Le choix t’appartient. Réfléchis seulement.
Un nouveau silence. Pesant cette fois.
Tyra hocha la tête, lui jeta un dernier regard et, sans prendre congé, comme à son habitude, s'éloigna, ses longs cheveux sombres volant derrière elle.
- Tout va bien ? questionna Ellana qui avait juste entendu des sonorités très douces et mélodieuses sans comprendre le moindre mot de la conversation.
- Très bien.
La jeune fille comprit qu'elle ne saurait rien de plus.
Devenir Marchombre ? Elle ? Quelques années auparavant cela aurait pu être possible mais à présent, elle se trouvait bien trop âgée pour débuter une nouvelle formation. Et surtout, son caractère aussi rebelle qu’indépendant ne supporterait pas de se retrouver bridé sous le joug d’un nouveau maitre. C’était une idée totalement ridicule. Lui seul aurait pu imaginer une chose pareille. Tyra ricana. Il y eut un long silence seulement troublé par le crépitement des flammes magiques dans l’âtre de la vieille tour. Faisant distraitement tourner le liquide contenu dans son gobelet, elle repensa soudain à ses récentes réflexions concernant la voie qu’elle suivait. Elle, une Marchombre ? L’air pensif, elle fixa le feu sans vraiment le voir et but une gorgée du liquide ambré. Elle une Marchombre… Après tout pourquoi pas… Elle se surprit elle-même à penser ça, mais en fait… pourquoi pas. Vraiment. Elle en avait assez de tuer et, des années auparavant, Adanën lui avait assuré qu’elle se ferait sans difficulté une place parmi eux. Chose qu’il lui avait d’ailleurs répété lorsqu’ils s’étaient revus quelques temps plus tôt. Elle une Marchombre… Alors à condition d’édicter dès le départ ses conditions et règles avec son… -par Zeran qu’elle haïssait ce mot…- mentor. Et que dernier ne soit PAS Adanën Saltaro.
Vidant son verre d’un trait, elle regarda par la fenêtre et constata avec satisfaction qu’un orage se préparait. Le vent avait considérablement forci, semant le désordre dans les branchages et faisant s'enfuir les oiseaux qui s'y étaient réfugiés. Quand au ciel dans lequel les étoiles avaient disparu, il annonçait l'imminence d'un orage, sinon d'une tempête. Un sourire se dessina sur ses lèvres. La pluie, le vent, les éclairs, le tonnerre, le ciel tourmenté des tempêtes... Ces phénomènes naturels étaient ce qu'elle prisait quand tous les autres les maudissaient. Depuis toujours, elle pensait que cela allait bien avec son caractère et sa profession. De fait, il ne fallut que quelques minutes pour que ce qu'elle avait prévu se réalise : la pluie se mit à tomber tel un rideau liquide, projetée en tout sens par les bourrasques de vent déchaîné et un éclair déchira l'uniformité céleste, accompagné du grondement du tonnerre.
Incapable de résister à l'attrait qu'exerçait sur elle ce temps de fin du monde, Tyra quitta la pièce. En un clin d'œil, elle dévala l'escalier en colimaçon, avant de pousser la porte pour sortir. Elle fut trempée en un instant, ses longs cheveux collant au tissu de sa combinaison, mais elle s'en moquait. Elle avait pris sa décision. Ce serait à ses conditions, mais elle avait pris sa décision.