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Chapitre 4: Première leçon

Depuis un moment déjà, Ellana bougonnait intérieurement. Elle avait horreur de la pluie. Pourquoi fallait-il sortir par ce temps ? C’était idiot. Dès qu’ils étaient sortis, la pluie froide avait transpercé la mince barrière de tissu que formait sa cape. Trempée jusqu’aux os, elle grelottait. Pire, il lui semblait que la température extérieure la gelait de l’intérieur. Mais elle se garda bien de faire part de ses remarques à son maitre. Que d’ailleurs, les trombes d’eau n’avaient pas l’air de déranger. D’un pas aussi alerte que par temps sec, il marchait vers sa destination et rien ne semblait pouvoir le détourner de son but. Qu’elle ne connaissait pas du reste.

- Où allons-nous ? se décida à demander la jeune fille.

Seul le silence lui répondit et elle se renfrogna. Pourquoi ne répondait-il jamais ? Tous les Marchombres étaient-ils comme ça ? Elle soupçonnait que non bien qu’elle ne connaisse que deux d’entre eux. Au moins, Sayanel répondait un minimum à ses questions quand elle lui en posait. Un minimum mais c’était déjà ça.

Ils s’engagèrent sur la route qui quittait la ville et arrivèrent bientôt au sentier qui pénétrait dans la foret de Talann.

Ce fut Ellana, qui, de nouveau, repéra la première la silhouette féline plantée devant eux à quelque distance.

- Que veut-elle encore ? demanda l’apprentie à voix haute sans vraiment attendre de réponse à sa question.

- Je pense que je le sais, répliqua toutefois Jilano en pressant le pas dans sa direction.

- Qui ? questionna Tyra lorsqu’ils arrivèrent à sa hauteur.

Même pas de bonjour, ni la moindre formule de politesse. Décidément, la jeune fille détestait les manières de l’assassin. Et que voulait-elle dire par là ? Elle était au moins aussi obscure dans ses paroles, que les Marchombres accomplis.

- Adanën Saltaro, répondit Jilano qui avait l’air d’avoir tout à fait saisi le sens de sa question.

Un haussement de sourcil. La première expression de surprise que l’apprentie lui voyait depuis qu’elle la connaissait.

- Un Elfe ? demanda la jeune femme en reconnaissant la prononciation du nom.

- Le seul maitre Marchombre elfe, précisa Jilano.

- Pourquoi ?

Décidemment, elle semblait apprécier les questions sibyllines.

- Tu seras plus à l’aise je pense. De plus, comme ta formation ne commencera pas au départ et que vos âges sont proches, il était tout indiqué pour te guider sur la Voie.

- On parle de moi ? demanda soudain une voix masculine grave mais douce et posée semblant venue des airs.

Par réflexe, l’assassin dégaina l’un de ses poignards et sortit ses griffes, sur le qui-vive. Le propriétaire de la voix se laissa alors tomber d’un arbre proche et atterrit souplement près de Jilano.

- Exact comme toujours mon ami, sourit alors Alhuïn en attrapant l’avant-bras du nouveau venu pour le saluer à la façon Marchombre.

- En a-t-il déjà été autrement depuis que nous nous connaissons ? rétorqua son compagnon en lui rendant son geste, sous le regard aussi scrutateur qu’impassible de Tyra, ainsi que celui, stupéfait, d’Ellana.

- Tyra, Ellana, je vous présente Adanën Saltaro, déclara ensuite le Marchombre.

Clignant des yeux, la jeune fille dévisageait l’elfe aux cheveux noirs mi longs dont les yeux bleus, à l’instar de ceux de Jilano, semblaient receler toute la sagesse du monde et davantage. C’était lui ? Pourquoi son maitre ne lui en avait-il jamais parlé avant de le mentionner comme mentor de la future ex-assassin ?

Saluant l’humaine de la tête, Saltaro s’approcha de sa nouvelle élève.

- Bonjour Tyra. Je suis donc ton…

Il ne put pas achever sa phrase car une paume autoritaire s’était tendue dans sa direction.

- Que les choses soient bien claires, déclara la jeune femme d’un ton coupant en rangeant ses armes, je ne reconnais à personne le droit de me donner des ordres. Tu n’es pas mon maitre, je ne suis pas ton apprentie. Il s’agira d’un échange de connaissances ou il n’y aura rien.

Ayant dit cela, elle le fixa dans les yeux, comme pour s’assurer qu’il avait bien compris le message.

En l’entendant, Ellana, à qui parler sur ce ton à l’un ou l’autre ne serait jamais venu à l’idée, écarquilla les yeux. Mais la réaction de l’assassin ne sembla surprendre aucun des deux Marchombres. Jilano la connaissait assez pour savoir que cette attitude était normale. Quand à Saltaro, ou il avait été mis en garde contre le caractère fier et indomptable de la belle, ou cela ne lui faisait ni chaud ni froid de s’entendre parler sur ce ton.

- A ton aise, répondit-il d’une voix égale, aussi imperturbable que son interlocutrice.

- Bien.

Sur un signe de tête amical aux deux humains, le nouveau duo se mit en route sans un mot.

En les regardant s’éloigner, Ellana ne put s’empêcher d’interroger son maitre.

- Vous croyez que tout va bien se passer entre eux ?

- Ne t’inquiète pas, ma jeune apprentie. Adanën sait parfaitement à qui il a à faire. S’il y a une personne capable de canaliser Tyra, c’est bien lui. Tout se passera à merveille.

Lorsque tous deux furent hors de vue, Tyra s’immobilisa.

- Mettons les choses au point, déclara-t-elle, péremptoire, tandis qu’il croisait les bras, le regard rivé sur elle. Règle numéro un : aucune question sur moi. On s’en tient au strict nécessaire. Règle numéro deux : pas de bavardage. Je déteste ça. Règle numéro trois : aucun ordre. Règle numéro quatre…

- Y en a-t-il encore beaucoup ? s’enquit alors Saltaro en haussant un sourcil ironique.

Cette répartie ne fut guère du gout de la jeune femme qui, peu habituée à être contredite ou interrompue, le fusilla du regard.

- Ne commence pas comme ça. C’est une mauvaise idée de me provoquer… fit-elle entre ses dents, la voix emplie d’une menace sous-jacente.

- Suis-je sensé trembler de terreur ? demanda-t-il de même, pas impressionné le moins du monde.

- Ne joue pas au malin Saltaro…

S’approchant tout près d’elle, il planta à son tour ses yeux bleu ciel dans les siens, couleur glacier et, stoïque, lança à son tour d’un ton calme :

- Très bien. Tu as énoncé tes règles, je les accepte. A moi d’énoncer les miennes à présent. Un : respect et politesse sont de maitres mots pour les Marchombres. Tu ne m’appelle pas par mon nom, je ne t’appelle pas par le tien. Nous avons tous deux des prénoms, ils sont faits pour servir, non pour décorer. Deux : « bonjour », « au revoir » et « merci » sont des mots que je souhaiterais entendre dans ta bouche tant que durera notre collaboration. (à ces mots, la jeune femme grimaça) Trois : il te faut me faire confiance. Car pour qu’un tel partenariat soit fructueux des deux cotés, celle-ci est nécessaire. Est-ce entendu ?

Cette tirade fut suivie d’un long silence glacé. Depuis des années, elle avait perdu l’habitude qu’on lui résiste. Mieux, elle avait pris celle d’être crainte. Or cet homme ne la craignait pas. Au contraire, il la bravait. Elle se sentait rabaissée au rang d’apprentie et avait cette sensation en horreur. Voilà qui partait mal…

- Avons-nous un marché ? insista-t-il devant son manque de réaction.

Comme la jeune femme ne faisait pas mine de lui répondre, le défiant du regard, il reprit du même ton posé :

- Qui ne dit mot consent. Je déduis donc que l’accord est scellé. Et je saurais bien te rappeler tout manquement.

- Ca je n’en doute pas, ironisa-t-elle.

- Tant que nous sommes dans les mises au point, je suppose qu’il est inutile de te rappeler que le sens de l’observation est essentiel pour un Marchombre ? De te répéter que où que tu ailles, quoi que tu fasses, tu dois toujours garder les yeux et les oreilles grands ouverts ; enregistrer même ce qui semble anodin ?

- Et tu crois que les assassins restent en vie comment ? renvoya-t-elle, peu amène.

- C’est bien ce qu’il me semblait.

Sur ces mots, il se tut de nouveau et se dirigea vers une clairière où il s’assit sur une souche. Autour d’eux les arbres chargés d’eau de pluie gouttaient, chaque perle liquide semblant, dans le silence environnant, s’écraser au sol avec fracas. Il aurait semblé à un observateur extérieur que la foret murmurait tristement.

Le Marchombre resta silencieux un moment, contemplant le paysage d’un air serein qui perturba Tyra sans qu’elle en fasse état. Jamais elle-même n’avait ressenti cette plénitude. Jamais elle n’avait semblé si paisible et en même temps si inébranlable. Impressionnée malgré elle par cette attitude, elle prit place à coté de lui.

Plusieurs minutes s’écoulèrent encore avant qu’il ne reprenne la parole.

- Dis-moi Tyra, à ton avis, qu’est ce qu’un Marchombre ? demanda Adanën.

La réponse qui fusa, ne fut pas exactement celle qu’il attendait.

- Tu as la mémoire courte on dirait, fit-elle sèchement. J’ai dis que je n’étais pas ton apprentie.

- Tu as également dis qu’il devait s’agir d’un échange de connaissances, rétorqua calmement l’elfe en braquant son regard sur elle. Alors prend ce que je t’offre.

- Tu ne m’offre rien d’autre que des interrogations, argua sa compatriote d’une voix coupante.

- En ce cas, offre-moi des réponses, fit-il encore sans se laisser déstabiliser par le caractère emporté et l’évidente mauvaise volonté manifestés par son interlocutrice.

De nouveau un silence. Profond. Comme une inspiration de la foret.

- Les Marchombres sont les opposés des assassins, même si leur formation de base est similaire, se décida à répondre la jeune femme. Cela dit, je ne connaissais pas assez les Marchombres pour répondre réellement.

- Je te demande une définition issue de tes convictions, non de tes connaissances, précisa alors Saltaro.

Le silence une fois de plus. Elle le brisa après un instant de réflexion.

- Ils sont les yeux et les oreilles d’un pays, déclara soudain Zenf.

- Poursuis, approuva l’elfe en hochant la tête.

- Ils ne sont ni intéressés ni vénaux et agissent en accord avec les principes de respect et d’éthique. Ils sont aussi libres et sans attaches et leur philosophie est radicalement différente de celle des assassins.

En l’entendant, un sourire se dessina sur les lèvres du Marchombre. Sa nouvelle « élève » avait des leurs une vision assez juste, cependant, dit cette façon, cela faisait un peu idéaliste. Il était amusant de constater cela lorsqu’on savait ce qu’elle était encore quelques heures auparavant.

Ce sourire n’avait rien de moqueur, pourtant, la jeune femme qui n’accordait pas facilement sa confiance –si elle l’avait accordée un jour, restait sur la défensive.

- Ce que je dis te fait rire ? demanda-t-elle, un brin agressive.

Mais l’elfe refusa de rentrer dans son jeu, préférant tenter de désamorcer sa compagne en détournant son attention.

- Le Marchombre ne possède que deux liens, précisa-t-il, rebondissant sur les paroles de l’ex-assassin. Mais ils sont à jamais indissolubles. Un passé : celui qu’il entretient avec son maitre, car même la mort ne peut les séparer. Et un futur : celui qu’il tisse avec son apprenti. Ils sont les deux seules attaches du Marchombre en règle générale.

- Il y a donc des exceptions ? s’enquit Tyra à qui, malgré sa brève relation avec Jilano, la notion d’attachement restait étrangère.

- Toute chose a son exception.

- Comme ?

Un nouveau silence. Comme s’il consultait la foret avant de répondre.

- Il y a deux réponses à cette question, comme à toutes les questions. Celle du savant et celle du poète. Laquelle souhaites-tu entendre en premier ?

Cette réponse qui n’en était pas une fit grimacer son interlocutrice.

- Oh non, pitié, pas ça… fit-elle, exaspérée, tout en levant les yeux au ciel.

Des années auparavant, Jilano utilisait souvent cette formulation pour lui répondre et, déjà à l’époque, elle avait horreur de ça. Ca n’avait pas changé. Ces Marchombres de malheur ne savaient donc pas répondre directement à une question ?

Comme Adanën la fixait, interrogateur, elle répondit de mauvaise grâce :

- Celle du poète.

- Souvent sentiments varient.

- Et celle du savant ?

- Les sentiments sont incontrôlables. Certains d’entre nous se sont laissés entrainer plus loin qu’ils ne l’auraient souhaité.

Saisissant que la phrase cachait une subtile allusion à son ancienne relation avec Jilano, la jeune femme le foudroya du regard.

- Je ne t’ai pas demandé ton avis ! aboya-t-elle avant de se lever et de se diriger vers un gros arbre contre lequel elle s’appuya, bras croisés.

Secouant doucement la tête, l’elfe inscrivit trois lignes d’un poème marchombre dans la poussière grège de la clairière, tout en soupirant intérieurement. Apprivoiser La Seija serait une tache ardue. D’un ton neutre, il lança ensuite :

- Je te déconseille de faire ça.

- De quoi parles-tu ?! rétorqua sa compatriote, à présent braquée.

Adanën eut un geste du menton en direction du robuste chêne contre lequel elle avait pris place.

- C’est un arbre et après ? fit-elle encore, peu amène.

- Il pourrait ne pas apprécier ton attitude présente.

Cette fois, Tyra éclata d’un rire moqueur. Il avait perdu l’esprit ! Un arbre n’était rien d’autre qu’un amas de bois, de sève et de feuilles ! Qu’en avait-elle à f…

Elle ne put achever sa pensée. Comme mu d’une vie propre, le chêne avait lancé vers elle deux branches épaisses et noueuses semblables à des bras, qui s’emparèrent d’elle avant que l’elfe prise par surprise n’ait le temps de réagir. En quelques secondes, l’ex-assassin fut soulevée de terre et immobilisée contre le tronc rugueux.

Revenue de sa stupeur, la jeune femme se débattit pour tenter de se défaire de l’étreinte d’acier. En vain.

- Qu’est ce que tu as fais ?! rugit-elle, furieuse.

- Je t’avais prévenue, rétorqua calmement Saltaro en s’approchant de l’arbre redevenu immobile.

- Libère-moi tout de suite ! exigea l’elfe.

- Ce n’est pas à moi qu’il faut exposer cette requête Tyra. Je ne suis pour rien dans ton emprisonnement.

- Tu te fiche de moi ?! tempêta-t-elle encore en se démenant de plus belle. C’est un arbre !

Constatant que cela ne la menait à rien, elle ordonna :

- Dis-lui de me lâcher immédiatement !

- Je te le répète : je ne peux rien. C’est avec lui que tu dois traiter.

- Dis-moi comment !

- Certainement pas, refusa alors le Marchombre d’un air paisible.

Essuyer un refus était manifestement une chose dont son interlocutrice emportée n’était pas coutumière, car elle écarquilla les yeux, le fixant d’un air estomaqué qui le fit légèrement sourire.

- Quoi ?!

- Tu t’es placée seule dans cette situation, à toi de t’en sortir sans aide extérieure, professa Adanën en reprenant place sur la souche.

Comme il ne faisait plus mine de s’occuper d’elle et que, ainsi coincée, elle n’avait rien d’autre à faire que réfléchir, Tyra s’absorba dans ses pensées. Traiter avec un stupide arbre ! C’était du plus haut ri… Elle s’interrompit car une bribe de conversation venait de surgir des tréfonds de sa mémoire. Elle se revoyait, adolescente, face à Zandar, le vieux mage à qui elle devait à la fois son instruction générale et ses connaissances magiques. Elle croyait entendre la voix légèrement chevrotante de son mentor :

- La forêt de Talann, dans laquelle se situe cette tour, est un sanctuaire, lui avait-il dit. Nul ne peut y faire montre d'une quelconque violence sans encourir sa colère.

- La colère de la forêt ? avait relevé la jeune fille, incrédule.

- C'est exact.

- Mais c'est impossible !

- Qui es-tu pour définir ce qui est possible ou pas ? avait alors rétorqué le sorcier en fronçant les sourcils. Il y a bien des choses que tu ignores, mon enfant. Ne juge pas sans savoir.

La colère de la foret… Cette foret et les arbres qui la constituaient abhorraient la violence sous toute ses formes ! Elle aurait du s’en souvenir ! Seule des émotions négatives ou des gestes violents avaient le pouvoir de faire réagir ses protecteurs végétaux ! Se traitant intérieurement d’idiote, Tyra s’astreignit au calme, chassant de sa esprit et de son cœur la colère qui y sourdait depuis plusieurs minutes.

La réaction ne se fit pas attendre. Dans un craquement digne d’un coup de tonnerre, l’arbre millénaire défit l’étreinte de ses bras, relâchant sa prisonnière qui eut juste le temps de se ramasser sur elle-même pour rouler au sol sans se blesser. Il reprit ensuite l’immobilité qui était la sienne depuis si longtemps et un fin observateur aurait été incapable de se rendre compte qu’il avait bougé de façon anormale quelques instants plus tôt.

L’elfe se releva en grommelant et, du plat de la main, entreprit de chasser la poussière dont sa combinaison se trouvait maculée.

- Tu viens d’apprendre ta première leçon, sourit enfin Saltaro.

- Pardon ?! fit la jeune femme en suspendant son geste.

- Ne jamais oublier les enseignements qui nous ont été dispensés car ils peuvent nous sauver la vie.

Un regard noir accueillit cette déclaration.

- A présent que tu as repris ton calme, enchaina le Marchombre, pourrais-tu approfondir la différence dont tu parlais avant cette petite interruption ?

- « Petite interruption » ? releva en maugréant la jeune femme qui n’appréciait guère de recevoir des leçons. Je crois que nous n’avons pas la même conception de ce qu’est une « petite interruption », vois-tu…

- Soit. Peux-tu tout de même répondre à ma question ? insista Saltaro sans se laisser détourner du sujet.

Il avait parfaitement compris que le meilleur moyen de dompter l’indomptable caractère de sa compatriote, était de rester de marbre face à ses éclats et de transformer tout ordre en simple demande. Rien de bien compliqué en somme.

- De quelle question parles-tu ? bougonna-t-elle encore.

- Tout à l’heure, tu as brièvement évoqué la différence de « philosophie » entre les assassins et les Marchombres, précisa l’elfe d’un ton égal. Peux-tu développer cette idée ?

Il y eut un grand silence prouvant qu’elle réfléchissait.

- Je crois que la principale différence réside dans leur façon de considérer l’existence d’autrui, déclara finalement la jeune femme. D’ailleurs, je pense que c’est ce que ton ami Jilano voulait que son apprentie comprenne quand il me l’a confiée.

- Et de quelle manière chacun d’eux voit-il les autres ? interrogea encore Adanën qui appréciait le mode de réflexion de son interlocutrice.

- Un assassin s’en moque comme d’une guigne, répondit cette dernière en connaissance de cause. Pour lui, la vie d’un individu n’a d’autre valeur que celle qu’elle peut lui rapporter en espèces sonnantes et trébuchantes. Qu’il s’agisse d’un homme, d’une femme ou d’un enfant n’a pas la moindre importance. Pour eux, toute personne est facilement sacrifiable et remplaçable.

Il hocha la tête en guise d’assentiment bien qu’il sache très bien que jamais de sa longue carrière de tueuse, La Seija n’avait mis fin à la vie d’un enfant. Elle était certes assassin, mais possédait pourtant un certain sens de l’éthique.

- Pour la suite, ce sera plus des « on dit » qu’autre chose, le prévint-elle tandis qu’il l’observait avec attention.

- Ce n’est pas grave, la rassura-t-il. Continue s’il te plait.

A son tour, l’elfe opina et reprit le fil de son raisonnement.

- A contrario, non seulement les Marchombres se soucient de la vie, mais elle a une importance pour eux. Ils pensent que tout être est unique et possède sa place dans le monde, du plus humble au plus riche, du plus petit au plus grand.

Manifestement, sans plus se considérer comme une assassin ni se voir encore comme une Marchombre, Tyra Zenf avait une vision très lucide des deux aspects, ce que le maitre Marchombre trouvait très intéressant.

- En somme, conclut la jeune femme, on pourrait dire qu’assassins et Marchombres représentent l’éternelle dualité entre le bien et le mal. Les deux facettes de la personnalité d’un même individu.

Et philosophe en plus… Adanën allait vraiment de surprise en surprise avec elle. Derrière son tempérament de feu et se manières un peu rudes, elle possédait un esprit et une façon de voir tout à fait fascinant. Il avait conçu des doutes au départ, mais, au vu de cette conversation, il était ravi d’avoir accepté la mission dont l’avait chargé Jilano.

- Selon toi, les assassins représentant donc le mal et les Marchombres le bien ? l’interrogea-t-il encore.

Elle haussa les épaules.

- Non. Ce serait grotesque de réduire ces différences à du manichéisme. Personne n’est totalement mauvais ou bon. Chacun porte les deux en lui. Mais c’est ainsi que les voient les gens.

- Poursuis, fit Saltaro, comme suspendu à ses lèvres.

Elle eut un nouveau haussement d’épaules.

- Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que les gens considèrent les assassins comme le mal absolu et les Marchombres comme des héros.

- Les gens craignent souvent ce qu’ils ne connaissent et ne comprennent pas.

A ces mots, Tyra ricana.

- Ne soit pas idiot. Quelle personne sensée aurait envie de connaître réellement un assassin ?

Seul le vent bruissant dans les feuillages lui répondit, alors que son interlocuteur posait sur elle son sage regard d’azur. Il attendit quelques instants avant de reprendre la parole.

- A ton avis, que pourrait-on faire pour changer cette façon de voir ?

- Leur enfoncer la vérité dans le crâne à coup de dague, répondit-elle le plus sérieusement du monde, d’un ton dépourvu de la moindre émotion.

Un froncement de sourcils accompagné d’un raclement de gorge désapprobateur lui fit comprendre que ce n’était pas la réponse attendue.

- L’habitude, fit-elle alors comme pour s’excuser.

- Alors ? la pressa-t-il.

- Je n’en sais rien. Je n’y ai jamais réfléchi.

- Et bien je t’en donne l’occasion.*

Un nouveau blanc.

- La seule solution serait qu'ils comprennent que les assassins ne sont pas foncièrement mauvais, que seul leur profession les fait passer comme tels, déclara ensuite Tyra.

- Et de quelle façon t'y prendrais-tu ?

- Il faudrait qu'ils en rencontrent un et qu'ils discutent pour se rendre compte par eux-mêmes que « assassin » n'est pas forcément égal à « monstre ».

- Alors allons-y, déclara soudain Saltaro.

En entendant ça, la jeune femme fixa son compatriote comme s'il était devenu fou. Il ne pouvait pas suggérer ce qu'elle pensait... Il n'était pas naïf au point de...

- Tu n'es pas en train de suggérer ce que je crois j'espère, fit-elle, infiniment soupçonneuse.

- Si, exactement, la détrompa-t-il dans un petit sourire.

Cette fois c'était évident, il avait perdu la raison.

- Allons, allons, ce n'est pas sérieux, dit-elle alors du ton qu'on prend pour calmer un enfant. Je ne suis plus assassin, tu as déjà oublié ?

- Cela ne fait que quelques heures Tyra. Une vie comme la tienne ne peut pas s'effacer en si peu de temps.

Constatant qu'il ne changerait pas d'idée, elle se renfrogna de nouveau.

- Et qu'est ce que ça va m'apporter de convaincre quelques paysans que je ne suis pas la grande vilaine méchante qu'ils s'imaginent?

- Ne sois pas méprisante envers les petites gens Tyra, dit alors fermement Adanën. Ou si tu tiens absolument à l'être, sois gentille de le faire en dehors de ma présence.

Cette soudaine froideur surprit tellement l'elfe, que, sur le coup, elle ne trouva rien à répondre. Pour la première fois depuis les quelques heures qu'il formaient cet étrange duo, le mots lui manquaient. Elle plongea les yeux dans les siens et y lut de la déception. Étrangement, cela la blessa. Elle ne savait trop pourquoi, mais décevoir cet homme d'une quelconque façon lui était pénible.

Ses pensées dérivant ainsi, elle se secoua mentalement. En quoi l'opinion de cet elfe qu'elle connaissait à peine revêtait-elle la moindre importance ? Elle n'était plus assassin depuis seulement quelque heures et elle devenait déjà d'une sensiblerie tout à fait ridicule. Mécontente envers elle-même, la jeune femme agacée ne trouva rien d'autre à faire que le fusiller du regard en l'accusant intérieurement -et avec la plus totale mauvaise foi, d'être le responsable de ce débordement d'émotions idiotes.

- L'intérêt sera de t'entraîner à argumenter, tout simplement, répondit-il finalement d'un ton encore plus neutre sue d'habitude.

Tyra ouvrit la bouche comme pour répondre, puis la referma sans avoir prononcé le moindre mot, se réfugiant dans un silence renfrogné qui fit intérieurement sourire son compagnon.

Elle pouvait avoir des réactions si étranges et si diverses... Il connaissait peu de personnes qui, tenant un raisonnement extrêmement intelligent et construit, se mettaient quasiment à bouder comme une enfant à la première petite réprimande. De telles sautes d'humeur auraient pu agacer bien des Marchombres, mais pas Adanën Saltaro. Lui trouvait passionnante cette personnalité complexe, ce caractère volcanique. Pour lui, transformer en Marchombre ce feu-follet était un défi. Mieux, une gageure qu'il se promettait de relever quoi qu'il lui en coûte.

Au terme de ces quelques réflexions, le maître Marchombre se leva.

- Allons, viens, dit-il en posant une main sur l'épaule de sa compatriote. Nous allons nous diriger vers l'auberge du Chien Mugissant.

- Pourquoi faire ?

- Tout d'abord, pour y prendre un repas. Ensuite, parce que qui dit salle d'auberge, dit personnes à convaincre.

- Que veux-tu que je fasse au juste ? s'enquit la jeune femme d'un ton plus cordial.

Elle si d'ordinaire si rancunière ne se sentait en effet pas capable d'en vouloir longtemps à son compagnon. D'autant qu'il n'était pour rien dans la direction précédemment prise par ses pensées.

- Découvre ce que pensent exactement les gens à propos des assassins et essaye de les convaincre qu'ils ne sont pas des monstres.

- C'est ainsi que tu nous vois ? questionna alors l'elfe, légèrement sur la défensive.

- Non Tyra, la détrompa Saltaro. Il s'agit simplement du mot que tu as toi-même employé il y a quelques minutes à peine.

- Mais je t'ai dis tout à l'heure ce qu'ils en pensaient. Tu es sourd ? Ou alors tu ne m'as pas écoutée.

- Mon ouïe est parfaite et je t'ai écoutée avec la plus grande attention. Cependant, tu n'as fais qu'émettre des conjectures, non des certitudes.

Elle n'objecta rien.