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Noir

par Erynna

Mmm...
Pas envie de me lever.... Sens à peine les draps qui enveloppent mon corps douloureux... Mal partout... Impossible d'ouvrir les yeux... Préfère demeurer dans le cocon sombre et rassurant de mon demi-sommeil...
Une mission éprouvante... et ce n'est qu'un euphémisme.
J'ignore comment je m'en suis sorti vivant et franchement, je n'ai pas le courage de me pencher sur la question, aussi intéressante soit-elle. Peut-être que je suis vraiment Shinigami, après tout...
Ah... moi aussi j'ai mes périodes de doute et d'angoisse. Toujours plus nombreuses. Toujours plus fortes.
C'est pire après des missions comme celle-là. Ça m'assaille, ça me dévore et ça finit par me renverser comme une lame de fond. Atroce...
Voilà que mes pensées commencent à devenir cohérentes.
Shit. Pourquoi est-ce que je n'ai pas le droit d'avoir mes 16 heures de sommeil comme tout le monde ?
Oui, vous avez bien lu. 16 heures. C'est le maximum que je peux m'octroyer en ces temps de guerre. En pensée, je vous tire la langue. Encore heureux que vous puissiez pas me voir, vous me traiteriez de gosse. Ou de baka, c'est au choix.
Allons, replongeons dans les bras de Morphée. C'est drôle, depuis que j'ai vu (et revu) Matrix, je ne peux m'empêcher d'imaginer Morphée sous les traits de Laurence Fishburne... Rien à voir, je sais... ou peut-être pas. Ce film me fait penser à un grand songe, mi-rêve mi-cauchemar, dont Morpheus détiendrait la clef. S'il pouvait refermer pour toujours la porte des miens, ça m'arrangerait.
Morphée, donc. On se concentre. Je suis dans mon lit. J'ai un mal de chien. Je vais me rendormir.
Ce qui veut dire que je suis réveillé.
Bouchez vos oreilles, fermez les yeux, Duo Maxwell va jurer.
Merci de votre compréhension.
Moi qui voulais retrouver le monde tordu de mon inconscient... celui où je ne sens plus la douleur physique. Juste celle qui est morale. Vous qui me lisez, vous ne tiendriez pas deux secondes à l'intérieur.
J'ai pourtant appris à le connaître. A l'apprivoiser. A m'y sentir chez moi.
Il est hideux, difforme, cruel, malsain... pervers même, mais pas dans le sens sexuel du terme (je vous connais, je sais ce que vous pensez de moi !) Il représente une distorsion de mes souvenirs et de mes désirs. Parfois, il arrive même à prendre leur place.
Parfois aussi, il me donne envie de hurler.
Le monde de mes rêves est un pays de cauchemars.
Hnnnn, je commence à divaguer ! De mieux en mieux.
Mes coéquipiers disent de moi que j'ai rien dans la caboche, tout juste si certains d'entre eux ne me traitent pas de crétin congénital, les autres étant trop polis pour ne serait-ce qu'y penser. Si ça peut leur faire plaisir... je me fous pas mal de leur opinion à mon sujet. Un ramassis de préjugés concernant le baka américain, sans aucun doute.
J'ai envie de dire que c'est dommage, que nous sommes jeunes et que nous pourrions peut-être profiter de ces quelques heures qui nous réunissent pour faire amis-amis... Grands sourires, et raconte-moi ton enfance malheureuse jonchée de larmes et de cadavres, et serre-moi la pince... Mais voilà, je m'en fous.
Au diable le masque de Joker.
Mes sourires ne sont que grimaces, mes blagues dissimulent à peine la noirceur de mon âme.
La douleur pompe le peu de forces qui me restent.
Je me tourne légèrement dans le lit et pousse un soupir qui se transforme aussitôt en gémissement. Je dois avoir une ou deux côtes cassées. Et je ne compte pas l'énorme bosse qui orne mon front, un vrai œuf de pigeon (note à moi-même : à l'avenir, éviter de prendre les murs en béton armé pour des oreillers de plume), l'espèce d'estafilade sur la main droite qui m'a emporté la peau jusqu'au coude, les multiples coupures et hématomes disséminés un peu partout sur mon corps et une cheville foulée (risible à côté du reste, je vous l'accorde.)
Y a pas à dire, je m'aime quand je suis dans cet état-là.
Apparemment, mes chers camarades ont décidé que je ne souffrais pas assez.
Bon Dieu, mais quel est le débile qui s'amuse à faire un boucan à réveiller les morts ?! A moins que Heero soit en mode "fée du logis" et nettoie par le vide l'appart qui nous sert de planque... c'est ça ou bien Quatre s'est mis en tête de préparer le repas. Et croyez-moi, vous voulez pas savoir comment cuisine Sa Blondeur. Brrr, même un frittage avec les Ozzies me paraît plus attrayant que l'un de ses ragoûts.
Je serre les paupières, il me semble que c'est la seule partie de mon corps qui s'en soit sortie indemne.
Bang ! Bang ! Bang !
Ça continue. Vive la cohabitation, je vous jure.
Bang ! Bang ! Bang !
On frappe à ma porte. Génial. Si je réponds pas, ils vont croire que je suis mort et me ficher la paix, non ? On peut toujours rêver...
Brusquement, une main sur mon épaule me secoue.
Je mords ou pas ?
- Duo, debout !
Ô douce voix qui résonne à mes oreilles ! Idéale comme réveille-matin, vous devriez essayer.
Les secousses reprennent de plus belle, m'arrachant cette fois un grognement empreint de souffrance. J'arrive à articuler deux ou trois mots étouffés.
- Va voir ailleurs si j'y suis...
- Baka ! Si tu te bouges pas dans les cinq secondes qui suivent, je te fais sortir du lit à coups de pied dans le derrière !
Pour toute réplique, j'envoie un regard-de-la-mort-made-in-moi (vip, ça existe !) et ce en n'ouvrant qu'un seul œil.
- Dépêche-toi, on change de planque.
Tut tut tut... Game over ! Vous venez de perdre la partie contre Heero Yuy le Magnifique. Veuillez rejouer.
Tout ce que je vois l'instant d'après, c'est un popotin vêtu de spandex qui s'éloigne vers la sortie en se dandinant. Bah, au moins je me serai rincé l'œil.
A présent, il s'agit de se tirer du pieu sans trop de casse. Je parviens à me redresser en position assise, à moitié affalé contre la tête de lit, puis fais passer mes jambes par-dessus la couverture. Je grimace en voyant l'état avancé de craditude dans lequel je me trouve. Et puis ne nous leurrons pas : je chlingue. Quant à mes cheveux... Satan me vienne en aide, c'est une vraie forêt vierge. Ça m'apprendra à avoir la flemme de faire ma toilette avant d'aller dormir.
Soyons sincère : maintenant encore, je suis loin de mourir d'envie d'aller faire un tour dans la salle de bains. Tant pis, c'est déjà un miracle que j'arrive à tenir sur une quille sans me rétamer par terre. Pour ce qui est des regards réprobateurs des autres, comme je le disais plus haut, qu'ils aillent se faire foutre.
Me voilà debout au milieu de ma chambre dans toute ma gloire, c'est-à-dire une paire de shorts qui datent d'Hérode et cachés sous un immense t-shirt noir à l'effigie de System Of A Down... La moitié de ma chevelure s'est échappée de ma tresse, se déversant comme un torrent de montagne le long de mon dos et sur mes épaules. Je porte la main à mon visage et écarte les trop longues mèches de ma frange.
Allez, on respire un grand coup et on se lance... ouille, pas trop grand quand même.
La descente des escaliers prend des allures de chemin de croix. Je m'accroche à la rampe comme un naufragé à sa bouée de sauvetage, une marche après l'autre, je vais y arriver, courage Maxwell... Quatre qui passait juste à ce moment-là sur le palier lève les yeux vers moi et s'arrête immédiatement. J'entends le doux thump que produit son sac en tombant par terre et trois secondes plus tard, il est à mes côtés et noue délicatement son bras autour de ma taille.
- Je croyais que la mission s'était bien passée ! s'exclame-t-il d'un ton inquiet. Duo, pourquoi n'es-tu pas venu me voir ?
- C'est rien du tout, Quat... J'ai juste... oublié de me débarbouiller.
- Tu plaisantes ? C'est à peine si tu peux tenir debout. Viens dans la salle de bains, je vais t'aider à soigner tes blessures. Côtes fêlées je présume, fait-il en percevant ma respiration difficile. Et ta cheville ?
- Trois fois rien...
Je serre les dents et tente de me dégager, mais Quatre assure sa prise et refuse de me laisser filer. Comptez sur Psycho Blondie pour jouer les mamans poules.
- Viens avec moi, Duo.
Je rends finalement les armes et remonte au premier étage avec l'aide de Quatre. De toute façon, il m'aurait asticoté toute la journée jusqu'à ce que je lui permette de me tartiner de Mercurochrome des pieds à la tête.
Bon d'accord, je viens de prendre également une bonne douche et de changer de vêtements ; je dois avouer que je me sens un peu mieux. J'ai laissé Quatre draper mes côtes d'un bandage digne d'une momie égyptienne. En revanche, j'ai dû user de tout mon bagout pour l'empêcher de me repriser le bras.
- Je ne crois pas que ce soit seulement superficiel, réplique-t-il en fronçant les sourcils.
Je me lève et me dirige vers la cuisine sans daigner répondre. Silence stratégique.
Personne dans la pièce éclairée du soleil de début d'après-midi ; ses rayons glissent sur la surface lisse et blanche des meubles, m'aveuglant comme à dessein. Je fais la seule chose possible dans ces cas-là. Je grogne.
La porte du frigo s'ouvre dans un fracas de bouteilles entrechoquées, et je me saisis du carton de lait.
Une bonne rasade plus tard, je songe qu'il est temps de grailler un petit quelque chose, histoire de ne pas manquer à ma réputation.
J'allais m'asseoir tranquillement à la table quand une tartine beurrée et recouverte d'une honorable couche de gelée de groseille se tend vers moi, comme par enchantement. Mmm, serais-je entré dans la Maison de Pain d'épice ?
Ses pupilles sombres enchâssées dans son visage de chat me rivent sur ma chaise tandis qu'il me présente la tartine avec insistance.
- Mange tant que tu en as le temps, Maxwell.
Sa voix est étonnamment douce... un peu rauque, à force de hurler comme un cochon qu'on égorge sur le champ de bataille, mais très douce le reste du temps. Si on l'écoute assez longtemps, on peut déceler d'infimes traces d'émotions, toutes celles qu'ils s'efforce de cacher à ses ennemis comme ses alliés.
J'accepte son présent en silence et le regarde hausser les épaules, comme gêné de sa soudaine incursion dans le monde des relations sociales. Lui non plus ne me quitte cependant pas des yeux, prenant méthodiquement note de toutes mes nouvelles blessures et futures cicatrices. Une sorte de révérence passe dans ses prunelles.
J'aime ses yeux.
Ah... Laissez tomber la dernière remarque. Vous n'êtes pas sensés être au courant que j'ai le béguin pour l'un de mes camarades.
Je ne peux malgré tout m'empêcher de me demander ce qu'il ressent, à me fixer sans honte comme un animal de foire. J'ai depuis longtemps dépassé le stade où je croyais qu'il me méprisait avec ses airs dédaigneux et ses « Maxwell ! » offusqués. J'ai compris qu'il ne savait pas comment réagir autour de jeunes de son âge, à avoir été élevé pendant toute son enfance par les Anciens de son clan...
Oui bon, Sally m'a un peu aidé à capter les subtilités du comportement wufien. Mais dans l'ensemble, partager quelques missions avec lui m'a aidé à mieux le cerner.
- Ça fait mal ? demande-t-il soudain.
Ma troisième tartine s'arrête à mi-chemin de ma bouche grande ouverte.
- Hein ?
Il désigne silencieusement ma tête, mon bras bandé, mon abdomen... bref, chaque détail de mon corps brisé par les coups et la douleur qui peu à peu s'estompe.
Je repose la tartine sur la table et me renverse avec précaution sur le dossier de la chaise.
- Tu te souviens de la fois où cette garce de Une a réussi à t'attraper et a fait mumuse avec toi toute une nuit ?
Le frémissement de ses membres au souvenir des tortures qu'il a subies se met à courir le long de ma propre échine.
- On peut dire que ça s'en rapproche.
Les yeux noirs s'écarquillent imperceptiblement, et je souris.

* * *

On peut dire qu'on a eu chaud. Les Ozzies se sont pointés à notre planque à peine deux heures après notre départ. Encore un peu et je remercierais Heero pour m'avoir fait bouger le cul. Fuite un peu précipitée quand même, j'ai failli oublier la Bible donnée par le Père Maxwell, dissimulée sous mon lit. Je ne l'ai jamais ouverte, jamais je n'en ai lu une seule ligne. Les histoires et la sagesse qu'elle contient, je les connais à travers les récits de Sœur Helen, en un temps qui me semble perdu à jamais. La nuit, après ces cauchemars emplis de monstres qui tous portent mon visage, j'aime me rassurer en sentant sous mes doigts le cuir usé de sa reliure, et respirer l'odeur du papier vieilli par les années. Tout cela me rappelle la voix aimante de Sœur Helen, me ramène à une époque qui, sans baigner dans la joie, portait cependant les prémices d'un faible espoir.
Voilà que mes propres souvenirs me rendent mièvre et sirupeux.
Je laisse un soupir s'échapper de mes lèvres et m'appuie un peu plus contre la vitre de la voiture, bercé par le ronronnement du moteur. Wufei est au volant, je l'écoute distraitement passer les vitesses, tourner à droite, puis à gauche...
Heero et Quatre se sont assigné la tâche de dissimuler nos Gundams. Trowa est parti en mission de reconnaissance près d'une base au nord du pays. Wufei et moi prenons notre temps pour arriver... façon de parler, bien sûr, mais vu mon "état", Quatre a décrété que je devais être ménagé si je voulais un jour recommencer à enquiquiner Treize et sa clique.
- Ne t'endors pas, Maxwell. On arrive.
Toujours cette voix douce et rauque qui n'en finit pas de me hanter. Et derrière mes paupières closes, j'imagine ses yeux noirs qui me transpercent, troublants et tourmentés...
Et si je lui disais à quoi je pense en ce moment, à lui qui se cache derrière des airs de sainteté et de rigueur ? Lui qui fait semblant d'ignorer ce que veut dire le mot "sexe" ? Comme s'il était vraiment cette divinité dont il se réclame, Nataku, créature divine ni male ni femelle...
Croit-il vraiment qu'il atteindra cette pureté à laquelle même les plus abjects d'entre nous aspirent... même moi...
La voiture s'arrête brusquement.
- C'est là.
J'entrouvre mes paupières alourdies par les longues heures de route. Nous sommes au milieu d'une forêt. Les arbres, dont je ne connais pas le nom pour la plupart, lancent leurs cimes noires contre les couleurs sanglantes du crépuscule, or, pourpre, violet et bleu sombre. Au fond d'une clairière grignotée par la nuit tombante se dresse un modeste chalet très vingtième siècle, une de ces constructions totalement dépassées aujourd'hui mais qui connaissaient une grande vogue il y a de cela des lustres. J'ai envie de rire ; pour un peu, on se serait pris pour une troupe de boy-scouts en vacances.
Je m'extirpe du véhicule comme je peux, retenant une grimace tandis que le moindre de mes muscles demande grâce. J'arrive néanmoins à me tenir sur une canne et sautille à cloche-pied jusqu'au coffre.
- Laisse, je m'en occupe, dit Wufei en m'ôtant un sac des mains.
Bah, je vais pas cracher sur un peu de galanterie dans ce monde de brutes !
Comme je le soupçonnais, notre nouvelle cachette est dépourvue du confort minimal. Pas d'écran géant, pas de console de jeu dernier cri, pas de lecteur dvd... A croire que les vieux schnoques n'ont pas consulté le Guide du Routard AC 195. Si je ne crève pas d'ennui avant la fin de notre séjour, on pourra crier au miracle.
Je m'effondre sur le canapé, me liquéfiant au milieu des coussins. Mauvaise idée, car mes côtes protestent aussitôt... tout comme Monsieur Chang Je-suis-le-fantasme-du-mois Wufei.
- Tu n'aurais pas dû faire ça, m'avertit-il en déposant nos affaires dans le salon.
Je lui donne ma meilleure imitation de poisson sorti de ses ondes claires : regard vitreux, bouche ouverte, lèvre inférieure légèrement pendante.
Le petit soupir excédé qu'il pousse signe mon triomphe.
- Est-ce qu'on attend les autres pour manger ? continue-t-il sans plus s'émouvoir.
- Je ne crois pas, mon ami ! je lance avec moquerie.
Ma bouche se déforme convulsivement comme il lève les yeux au ciel et part visiter la cuisine.
J'aime sa cuisine.
Epicée. Exotique. Parfumée de saveurs que j'apprends à connaître un peu plus chaque fois. Faite à son image.
Je meurs d'envie de les goûter.

* * *

- Fais attention, c'est chaud.
Evidemment, je ne l'écoute pas et engloutis une énorme part de poulet à la noix de coco additionnée de pâte de piment. Je mastique avec application ma bouchée, faisant de mon mieux pour ignorer les brûlures au second degré qui titillent ma langue, mon palais et l'intérieur de mes joues avant de l'avaler avec un "gulp !" sonore. Un verre de coca, et c'est reparti.
De son côté, mon cordon-bleu saisit délicatement deux ou trois grains de riz entre ses baguettes et les porte à sa bouche. Pas étonnant qu'il n'ait que la peau sur les os ; il grapille sa nourriture comme un moineau.
- Ne me regarde pas quand je mange, Maxwell, dit-il en fronçant ses fins sourcils.
- Pourquoi ? Ça déconcentre ta digestion ?
- C'est impoli.
J'ai envie de rire. Ses remarques sont tellement stupides, parfois ! Bien sûr, si je me payais sa tête à ce moment-là, il se sentirait obligé de me courir après avec son sabre malgré mes blessures, et adieu mon dîner... Je serre donc les lèvres, ne me permettant qu'un petit sourire tordu.
- Wu-man, je ne crois pas que les notions de politesse ou d'impolitesse aient quoi que ce soit à faire à la table du Shinigami. Par ailleurs, j'aime te regarder.
- Cesse de te moquer de moi, Maxwell, fait-il d'un ton soudain menaçant.
- Quoi, tu voudrais me priver de mon passe-temps préféré ?
Ah... oui. Mes techniques de drague sont à revoir. On mettra ça sur le compte du coup que j'ai reçu sur la tête.
Ses doigts se serrent sur les baguettes, blanchissant les jointures de ses phalanges. Ses yeux noirs se réduisent à deux fentes et, plus que jamais, il me fait penser à un chat sur le point de sortir ses griffes. Nous nous mesurons du regard par-dessus les plats fumants, moi souriant, lui furieux.
Voilà de quoi sont faites nos relations. Un instant fleurit l'étrange lien d'une compréhension totale, et celui d'après nous voit nous déchirer comme deux ennemis mortels. Posant les baguettes sur son assiette presque intacte, il choisit de quitter la table.
- Finis tout seul, lâche-t-il avant de pénétrer dans le salon.
Est-ce que c'est ma faute ? Est-ce que c'est ma faute si je ne sais pas lui dire qu'il m'est impossible de regarder ailleurs quand il est près de moi ?
Ne vous méprenez pas. Ce que je ressens pour lui est loin d'être de l'amour. J'ai juste dit que j'avais le béguin, je ne vais certainement pas lui proposer le mariage... Tirer un coup, peut-être plusieurs, oui. Définitivement oui.
Je ne pense pas qu'il puisse y avoir plus entre nous. Même si l'on dit que l'amour fleurit sur les champs de bataille. Moi, je n'y crois pas.

* * *

Quatre et Heero sont rentrés tard dans la soirée. Je suis allongé sur mon lit, évitant le plus possible de bouger tant que mes blessures ne se sont pas un peu refermées. Et Wufei boude dans un coin de notre chambre.
Par quel étrange hasard chacune de nos planques ne comporte pas autant de chambres qu'il y a de pilotes, voilà un mystère de l'univers qui n'est pas prêt d'être expliqué. Quoi qu'il en soit, le chalet en possède seulement deux. L'une d'elles a été attribuée d'office à Heero et Quatre, car voyez-vous... avec Trowa... Bref, ils ont décidé de goûter aux joies du ménage à trois et malgré mon esprit aventureux, je n'ai pas envie de me retrouver mêlé à leur petite affaire. Bien qu'une question me démange : qui porte la culotte ?
Résultat : je partage la chambre restante avec Wufei. A travers la pénombre, je fixe la courbe de sa nuque. Assis en tailleur à même le sol, il me tourne le dos, mais je sais qu'il peut sentir le poids de mon regard. Il médite... moi, j'appelle ça faire du boudin.
Je me demande s'il m'en veut vraiment... Et si oui, est-il prêt à me pardonner ?
A lui, je voudrais dire : nous n'avons pas toute la vie devant nous, nous ne sommes pas immortels, demain sera peut-être le dernier jour où nous verrons le soleil se lever. Alors pourquoi entretenir de stupides querelles ? Viens plutôt dans mes bras, viens profiter de ce que j'ai à t'offrir... laisse-moi prendre un peu de toi-même, un peu de ta chaleur... briser le cercle douloureux de notre solitude.
Je voudrais... mais je ne peux pas. Ce serait me placer en position de faiblesse et je m'y refuse. Pas devant lui.
Alors je me tais, et laisse échapper une occasion de plus de savoir... savoir si c'est possible, si mes rêves ne seront jamais rien de plus que des rêves, s'il n'y a pas la moindre petite chance que...
- Tu continues à me regarder, Maxwell.
Son ton tranquille manque me faire sursauter. Il décroise les jambes et se lève d'un mouvement souple, s'approche de sa démarche féline de mon lit, s'assoit juste au bord...
- Pourquoi me regardes-tu ?
La question est simple. Quant à la réponse... c'est autre chose.
Je continue de me taire ; ce silence est si peu moi et pourtant, jamais il ne m'a autant ressemblé... il dit mes doutes, mes peurs, mes désirs aussi, mon attente.
Ses yeux me transpercent, plus noirs encore que l'obscurité qui enveloppe la demeure.
Si noirs.
- Je te l'ai dit, Wu, j'aime te regarder.
- Pourquoi ?
- Parce que... je ne sais pas.
Je ferme les yeux. J'ai l'impression que les rôles s'inversent, qu'il cherche à me voler le contrôle de la situation ; je n'apprécie pas.
- Duo Shinigami Maxwell en manque de mots ? Ce serait une première.
On dirait que ça l'amuse.
- La réponse pourrait te plaire encore moins, Wu-man.
Je vous le jure, c'est sorti tout seul ! Lui non plus n'avait qu'à pas me chercher.
- Cela, tu n'en seras certain que si tu me la dis.
Hé ! Je rêve ou il est en train de flirter avec moi ?!
Car je le vois se pencher légèrement vers moi, son sourire adoucissant les traits de son visage, et sur son épaule se met à glisser son débardeur...
Impossible, je me fais des idées.
Il grimpe pourtant sur le lit, rampe à quatre pattes en roulant des épaules puis s'allonge à mes côtés, sans me quitter des yeux.
- Dis toujours, Maxwell.
Plus de doute. Chang Wufei vient d'entrer dans le jeu périlleux de la séduction.
Sait-il à quel point j'ai envie de lui alors qu'il n'est qu'à quelques centimètres de moi ? Sait-il comme c'est dangereux de vouloir jouer avec Shinigami à ce jeu-là ?
Chut, ma douleur. Laisse-moi me soulever sur un coude, permets-moi de m'avancer vers lui et de lui voler un baiser, juste un.
Mes lèvres effleurent à peine les siennes, et je me recule aussitôt, comme brûlé par un feu trop ardent.
Puis je regarde, fasciné, la pointe de sa langue récolter le goût de ma bouche sur la sienne.
- C'est une bonne réponse, finit-il par dire.
- Content que tu le prennes comme ça, je réplique, peu enclin à admettre mon soulagement.
Il se détourne et contemple à présent le plafond.
- A quoi t'attendais-tu ? demande-t-il. A ce que je prenne mon sabre et te coure après à travers toute la maison ?
Je ne peux retenir un éclat de rire.
- Quelque chose dans ce goût-là.
Je sens son sourire plus que je ne le vois. Il roule alors tout contre moi, veillant à ne pas toucher mes meurtrissures. Son visage s'approche du mien, nos nez se touchent...
- Pour qui me prends-tu, Maxwell ?
A son tour, il m'embrasse.
Je garde les yeux ouverts, lui aussi. C'est d'abord un simple bouche contre bouche, on se caresse, on se défie un peu, aussi. Qui osera...
Ah, ça y est. Je la sens me taquiner les lèvres, comme pour leur dire : "oserez-vous me laisser entrer ?" Chaude, douce, excitante, sa langue finit par s'insinuer en moi...
Yeux grands ouverts, pour ne rien perdre du spectacle.
Noir contre améthyste.
Ses mains s'accrochent à mes épaules en une prise légère, je sens qu'il a peur de me faire mal. Moi, je n'ai pas cette retenue et agrippe soudain sa chevelure - noire, si noire, toujours noire. Renversant sa tête en arrière, j'ôte le ruban retenant sa queue de cheval et fais glisser mes doigts entre les mèches libérées... J'approfondis notre baiser, absorbant le cri de surprise qui ne demandait qu'à sortir.
Yeux grands ouverts.
Il porte ma couleur dans son regard.
Nous nous séparons, haletants. Etonnés également, comme si aucun de nous ne croyait à la fin de quelque chose de si fort, de si bon.
- Wow... souffle-t-il, papillonnant des cils.
Il se laisse retomber sur le lit, et sur l'oreiller s'étalent ses cheveux fins et soyeux.
- Ohh... continue-t-il, et ses yeux reviennent vers moi. Il faudra qu'on remette ça, Maxwell.
Un bref éclat de rire me secoue, et j'appuie doucement ma tête au creux de son cou. Je ferme les yeux, me repaissant du parfum chaud et vanillé de sa peau, tellement envoûtant. Mes doigts se mettent à tracer de voluptueux motifs sur sa poitrine qui se soulève au rythme de sa respiration.
- On peut faire bien plus, Chang... et tout de suite.
- Tu es blessé, Maxwell.
- Je m'en fiche. C'est pas ça qui va m'empêcher de prendre ce que je veux... toute la nuit, si j'en ai envie.
- Toute la nuit ? Tu ne crois pas que tu te surestimes, Maxwell ?
- Tu veux parier ?
Un jeu. Un défi. Je vous l'avais bien dit. Rien de tendre ou d'amoureux dans nos rapports. Peut-être un peu d'amitié et de respect, du moins jusqu'à aujourd'hui. De quoi demain sera fait, lorsque le soleil se lèvera et nous verra dans le même lit ? Est-ce que je le mépriserai pour s'être abandonné à moi ? Me détestera-t-il pour l'avoir pris sans l'aimer ? Ou bien il s'agit peut-être d'un accord tacite entre nous, une nuit, pas de lendemain, retour à la routine, missions, destructions, carnages, tout ça pour une paix dont aucun de nous ne connaîtra jamais le goût.
Nos vêtements se retrouvent par terre sans que je m'en rende vraiment compte, nos bouches ne se quittent plus, nos mains courent le long de nos corps et je le sens onduler contre moi, ses muscles frissonnent et se tendent.
Je me fous des élancements dans mon crâne, de mon bras qui s'ouvre à nouveau, rouge sang teintant le bandage, de mes côtes pressées contre son corps, hurlant leur souffrance en chacun de mes nerfs, de ma cheville qui cogne contre le matelas tandis que je me glisse entre ses jambes.
Mes dents mordillent sa lèvre inférieure, attirant des gouttes de sang qui coulent dans ma bouche. Il commence à se débattre, ses mains me repoussent et moi, j'avale ses protestations qui s'étranglent dans sa gorge...
- Qu'est-ce qui te prend, Maxwell ! s'écrie-t-il tandis que je romps notre joute pour reprendre mon souffle.
- Me dis pas que tu n'aimes pas, Wu.
Je saisis son érection pour appuyer mes dires, lui arrache un gémissement... plaisir, douleur, quelle importance ? Je souffre moi aussi, cela aussi je veux qu'il le partage.
J'accélère mes caresses et contemple, ensorcelé, son fin visage se tordre de plaisir, cette fois j'en suis sûr. Au diable les larmes qui perlent au coin de ses cils et ses cris entrecoupés de sanglots. Ses doigts s'enfoncent dans les draps, ses hanches saillantes se cambrent et il se libère enfin dans ma main en de longs jets brûlants.
Il s'effondre, hors d'haleine, ses yeux noirs toujours fixés sur moi.
- Je te déteste, murmure-t-il. Je te déteste...
- C'est toi qui l'as voulu, Wufei.
Alors qu'il noue ses bras autour de mon cou, j'écarte encore ses cuisses et me colle tout contre lui. De sa semence j'enduis mon propre membre... j'ai tant envie de lui... besoin de lui... et en même temps, ce n'est pas de l'amour, seulement du désir, si intense qu'il s'exacerbe en souffrance...
Ma bouche étouffe son hurlement lorsque je le pénètre avec toute la brutalité dont je suis capable. Je ne me maîtrise plus, ne me retiens plus... fini le pilote souriant à ses ennemis, terminé le comique de service, brisé le masque de l'orphelin qui se rit des crasses de la vie...
Ne reste plus que Duo, le vrai Duo.
Noir, si noir.
Le noir est ma couleur.
Dans ma vie, mêlée au sang de mes victimes.
Sur mes vêtements, reflets de mon cœur.
En mon âme, longues traînées maculant le peu d'innocence qu'on m'a laissée...
Jusqu'aux orbes lisses de ses yeux, et l'ébène qui s'accroche à ses cheveux...
Noir, noir, noir...
Comme une malédiction qui nous unirait...
Comme un monde qui ne serait fait que pour nous...
Et je vous le jure, je ne l'aime pas.
Lui me déteste.
Aucun sentiment ne peut exister entre nous.
Et tandis que je m'enfonce toujours plus profondément en lui, jusqu'à parvenir à son âme et sonder les noirceurs qu'elle contient, la réalité rejoint l'univers de mes cauchemars... difforme... cruel... violent... monstrueux...
Explosion de lumière blanche derrière mes paupières à présent closes... long cri d'agonie... mort, renaissance... peu importe... c'est blanc, immaculé, d'une trompeuse pureté.
Je m'écroule sur son corps, épuisé. Je sens ses mains qui lentement remontent le long de mon dos et caressent mes cheveux défaits.
- ... te déteste...
Je trouve la force de me redresser pour tracer la courbe de sa mâchoire par de légers baisers.
- Moi aussi, Wu... moi aussi...

* * *

Mmm...
Pas envie de me lever.... Sens à peine son bras qui enveloppe mon corps douloureux... Mal partout... Impossible d'ouvrir les yeux... Préfère demeurer dans le cocon sombre et rassurant de mon demi-sommeil...
Une nuit éprouvante... et ce n'est qu'un euphémisme.
A mes blessures récoltées au combat s'ajoutent celles de notre lutte nocturne. J'ai mal. Et c'est comme si rien ne pourra jamais apaiser ma souffrance. Sauf, peut-être... la Dame à la faux... mon éternelle compagne...
Je le sens bouger contre moi, s'étirant lentement et avec d'infinies précautions. Lui aussi doit avoir mal.
On ne s'aime pas. Peut-être même qu'on se déteste.
Quelle importance.
Nous partageons pour quelques instants notre noirceur, notre douleur, fondus en une même couleur.
Il se réveille... se tourne vers moi... et me fixe de ses yeux noirs.

~Fin~