+Anima Fan Fiction ❯ Assassin ou Marchombre ? ❯ Intrigué ( Chapter 1 )

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Une ombre. Une silhouette encapuchonnée qui filait devant eux avec une souplesse, une discrétion digne d’un Marchombre. Pourtant, quelque chose clochait, emplissant Jilano d’une certitude : celui ou celle qui se faufilait dans les rues de Llinmai n’était pas des leurs. Il connaissait nombre de Marchombres, mais aucun ne possédait cette grâce féline. Cette faculté de se fondre dans les ombres de la nuit était rare. Même parmi les meilleurs d’entre eux.

- Vous êtes intrigué, fit une voix juvénile à côté de lui.

Le maître regarda la jeune fille qui venait de parler et hocha la tête, bien que sa phrase ait été davantage une affirmation qu’une question. Elle le connaissait bien à présent. De la même façon qu’il devinait ses pensées à la moindre de ses mimiques, elle parvenait désormais à suivre le cheminement, parfois tortueux, de ses songes, simplement en le regardant.

- Pourquoi ne pas suivre cette personne dans ce cas ? poursuivit-elle

- Car ce n’est pas notre but de ce soir, Ellana, tout simplement, répondit-il avant de se détourner pour regarder autour d’eux.

Se promettant intérieurement de chercher à en savoir plus sur la mystérieuse silhouette, le Marchombre se concentra de nouveau. L’entraînement de son élève primait sur tout. Surtout de cette élève en particulier. Si douée, si indispensable… L’élue de la prophétie, il en était certain.

Un chuintement. Presque inaudible. Une ombre se faufilant parmi les ombres de la nuit. Elle n’était rien de plus. Elle s’était souvent demandé ce qu’elle serait devenue si elle avait eu une enfance normale. Si, comme les autres, elle avait pu jouer librement… Mais à quoi servait de se poser de telles questions ? Elle n’était personne et le resterait quoi qu’il advienne.

Un léger déclic. La porte était ouverte. Elle monta. Ouvrir la porte, repérer les lieux, tuer, ressortir discrètement. Une routine qu’elle effectuait presque avec désinvolture. Blasée. Blasée de tout. De sa vie, du sang, de l’ombre même. Oui même cette ombre dans laquelle elle se tenait depuis tant d’années. Y compris cette ombre qu’elle avait pourtant appris, au fil du temps, à considérer comme une alliée, une amie même. Blasée de solitude et pourtant, elle ne connaissait qu’elle. Un soupir. S’appesantir là-dessus ne la mènerait à rien. N’était-elle pas La Seija1, le meilleur assassin de tout Sayanë ? En tant que telle, elle ne pouvait se permettre de faiblir. Se questionner, c’était être incertaine. Etre incertaine, c’était faiblir. Et faiblir, c’était mourir. Elle le savait. Mieux que quiconque dans l’Empire.

Elle rentra dans la maison, aussi silencieuse que le félin duquel elle tenait son surnom. Un unique coup d’œil autour d’elle lui fit comprendre que c’était à l’étage que se trouvait sa proie. Elle gravit l’escalier sans un bruit… et s’immobilisa sur le pallier qu’elle venait d’atteindre. Une grande lassitude venait soudainement de s’abattre sur ses épaules. Elle se passa une main sur le visage. Fatiguée, c’était un fait indéniable. Comment continuer alors ? Un regard pour la porte. Un regard morne. Pas ce soir. Elle verrait demain. Pas une fuite. Juste une retraite. Elle reviendrait faire le travail… ou rendrait sa bourse. Partir, oublier… S’oublier elle-même dans la débauche d’une taverne mal famée… ou pas. Mais s’oublier quoi qu’il en soit.

Elle redescendit et quitta l’endroit.

Quelques mots échangés avec la personne adéquate. Il ne lui en avait pas fallu davantage. L’image de cette ombre furtive, de cette silhouette éthérée n’avait pas quitté l’esprit du Maitre Marchombre. Il avait cherché à en apprendre plus, suivi par une Ellana intriguée de le voir si curieux. Connaître l’identité de la fuyarde n’avait été une mince affaire. Personne ou presque ne savait à quoi elle ressemblait et nul ne semblait connaître son nom. Tout ce qu’il avait obtenu était un nom. Ou plus exactement, un surnom. Un surnom qui disait exactement ce qu’il était, ce qu’elle était : la Seija. Une tueuse hors pair. La meilleure qui existe. Celle à qui jamais aucune proie n’avait échappé. Furtive, silencieuse, méthodique, froide, implacable… elle faisait ce qui devait être fait sans compassion ni aucun autre sentiment, frappant aussi rapidement que précisément. Les personnes pouvant se vanter d'avoir aperçu son visage étaient très rares sinon inexistantes, car elle frappait si vite que ses victimes n'avaient même pas le temps de pousser un ultime cri.... Du moins était-ce les informations, les rumeurs qui circulaient à son sujet d’un bout à l’autre de la capitale. Impossible de démêler le vrai du faux, l’exagération des faits exacts. Et pour Jilano Alhuïn, cette réputation était vraiment intrigante.

- Vous pensez que c’est possible ?

Le Marchombre posa un regard tranquille sur son élève, attendant qu’elle poursuive.

- Je veux dire tout ce qu’on raconte sur cette femme, précisa Ellana. Ca parait vraiment…

- Vraiment ?

- Je ne sais pas… exagéré, invraisemblable…

- Je l’ignore. Une réputation peut être quelque chose de très surfait aussi bien que quelque chose d’avéré. Et la peur est souvent un facteur d’exagération. Or cette Seija effraye les gens manifestement. Ils craignent qu’elle ne fonde sur eux comme la mort en personne. Et, toute réputation possède un fond de vérité.

- Et donc ? interrogea la jeune fille qui savait que son mentor n’avait pas achevé.

- Elle possède donc d’indéniables talents, également propres aux Marchombres.

La comparaison parut indigner Ellana.

- Mais les Marchombres ne sont pas des assassins ! Vous ne pouvez pas nous comparer à cette tueuse !

- Certes… Pourtant si tu analyse ce qui nous a été rapporté, tu comprendras où se situe la vérité.

Rapidité, précision extrême, agilité, fluidité des mouvements… c’était vrai, Ellana le comprit en revenant sur ce qu’ils avaient entendu, pourtant tout son être se rebellait à l’idée d’être comparée à une criminelle. Même si cette comparaison ne portait pas sur sa propre personne mais sur sa fonction. Leur fonction. Non, c’était plus, bien plus qu’une fonction. C’était un souffle. Une vie. La Voie. Une voie à laquelle, à n’en pas douter, cette femme, cette Seija n’aurait rien compris.

- Qu’en sais-tu ? interrogea alors Jilano, comme s’il avait lu ses pensées.

Il laissa passer un moment, au cours duquel il sembla regarder le vent qui s'était levé et jouait dans les branchages. Il arborait un air si serein que la jeune fille ne se sentit pas le droit de l'interrompre, malgré les myriades des questions qui se bousculaient dans son esprit, soulevées par son interrogation.

- Ta loyauté envers le nôtres t'honnore, reprit-il enfin, mais t'aveugle aussi. Tu te dois de rester objective en toute circonstance.

Un peu déstabilisée par le reproche soudain, Ellana fixa son mentor.

- Que voulez-vous dire ? quetionna-t-elle en espérant ne pas obtenir en réponse la formulation en deux parties si chère aux Marchombres.

- En défendant les Marchombres, tu te focalise uniquement sur les aspects positifs de notre fonction.

- Et ? demanda-t-elle pour la seconde fois en peu de temps.

Décidément, Jilano pouvait vraiment se montrer très obscur dans ses réponses.

- Réfléchis, jeune apprentie. Tu as déduis de toi même certains points communs entre elle et nous, je le sais. N'aurais-tu pas sciemment omis ceux qui te dérangent ?

La question amena la jeune fille à une petite introspection. Évidemment... Une fois encore il avait raison. Comme c'était toujours le cas. Avec la plus totale mauvaise foi, elle avait mis de côté ce qui était peut-être la plus importante action commune, car tout son être se rebellait contre ce que cela induisait. Oui, cette assassin et eux avaient autre chose en commun que les qualités des Marchombres : tuer.

- Mais, finit par objecter Ellana, c'est tout à fait différent.

- En quoi ? demanda-t-il en posant son regard tranquille sur elle.

- Les... assassins tuent pour de l'argent, voir pour la gloire... Nous autres...

- Vraiment ? l'interrompit-il, calmement. As-tu donc connu et interrogé nombre d'entre eux pour te prévaloir ainsi de connaître leurs motivations ?

Touché. Encore et toujours. Que pouvait-elle répondre à cela ? Rien.

- Avec le temps, tu apprendras à ne pas porter de jugement trop hâtif, à réguler tes déductions.

De nouveau, un silence s'installa tandis que maître et élève se dirigeaient vers la porte d'une taverne afin d'échapper à la pluie diluvienne qui s'était soudain mise à tomber.

- Pourquoi elle et maintenant ? demanda encore Ellana.

Le Marchombre, qui s'apprêtait à pousser la porte, suspendit son geste et tourna la tête vers elle, indifférent à l'eau qui s'était infiltrée sous la capuche de sacape et ruisselait le long de son visage comme des torrents de larmes.

- Pourquoi toi à l'époque ? renvoya-t-il de façon tout aussi sibylline.

La question prit la jeune fille au dépourvu et elle ne sut quoi répondre. Son silence dût se révéler plus éloquent que toutes les paroles du monde car il reprit :

- T'es-tu jamais demandé pourquoi Sayanel t'avais mise toi sur le chemin de la Voie ? Pourquoi toi et pas quelqu'un d'autre ?

Oh que oui elle se l'était demandé. Maintes et maintes fois sans jamais découvrir la réponse ni pouvoir se résoudre à poser la question au Marchombre lui-même.

Son mentor lui épargna la peine de reprendre ses interrogations à ce sujet, en lui donnant une réponse, toute Marchombre certes, mais à laquelle elle aurait dû songer toute seule.

- Il l'a fait parce qu'il sentait qu'il le devait.

Limpide. Effrayant de simplicité, effrayant d'implication, mais limpide. Une fois encore, Ellana allait demander quelque chose, mais Jilano avait déjà franchi la porte et elle s'abstint.

Tous deux émergèrent dans une vaste salle enfumée chichement éclairée, dans laquelle l'odeur et le bruit prévalaient sur la saleté repoussante discernable un peu partout. Les nombreux clients, pour la plupart très avinés, maugréaient à voix haute sans se soucier de leurs voisins de débauche et dans le fond, derrière un comptoir en bois fendillé et crasseux, le tavernier nain à l'air revêche disposait des gobelets à la propreté plus que douteuse.

Charmant endroit, se dit ironiquement Ellana tout en suivant son maître jusqu'à une table.

Pourquoi avoir jeté son dévolu sur cet endroit mal famé où les rixes devaient être monnaie courante ? Bon, il fallait bien avouer qu'avec le déluge qui tombait à l'extérieur, ils n'étaient guère en état de faire les fines bouches quant au standing de leur refuge, mais tout de même... En soupirant, elle prit place près de lui, faisant tomber son capuchon gorgé d'eau.

- Et maintenant ?

- On attend que ça se calme avant de repartir. Profites-en pour observer autour de toi.

D'un air pensif, Tyra fit tourner dans le gobelet le liquide ambré qu'il contenait, avant de l'avaler d'un trait. La douceur inhabituelle du breuvage la surprit par rapport à sa force coutumière. Un coup d'oeil au tavernier. Il n'était même pas capable de distiller un alcool de rayazen correct... Heureusement que, experte en poisons, elle était immunisée contre ses effets toxiques. Désireuse d'oublier, elle se versa un nouveau verre de l'infâme liquide, n'accordant qu'une attention distraite à la bouteille dont le niveau baissait à vitesse régulière. Elle ferma les yeux. L'espace d'un moment, elle se prit à s'imaginer une autre vie que la sienne. Que se passerait-il si elle n'était plus la Seija ? Si elle cessait de tuer ? Mais la réalité s'imposa bien vite, chassant ces rêveries insensées. Depuis son adolescence, tuer était sa seule compétence. Ce fait à lui seul délimitait toute son existence. Elle ne savait pas faire autre chose. Sa dérisoire tentative d'une vie normale avait échoué bien des années auparavant. Ainsi qu'elle l'avait deviné si longtemps auparavant, elle était condamnée à la nuit, à une vie qu'elle n'avait pas choisi mais fait sienne. De nouveau, l'elfe avala le mauvais alcool sans broncher et, sous sa capuche noire comme la nuit, esquissa un sourire d'auto-dérision. Depuis quand s'apitoyait-elle sur son sort ? Par Zeran, pour en arriver là, elle devait réellement avoir besoin d'une pause. Se versant un verre qui vida la bouteille, elle le termina, puis se leva.

Un mouvement sur sa droite interpella Jilano, qui porta son regard dans cette direction. Ses yeux accrochèrent une silhouette élancée, féline, qui, bien qu'étroitement enroulée dans une cape noire, ne laissait planer aucun doute quand à son identité. C'était inespéré. Il n'aurait même pas besoin de la chercher. Confiant, le Marchombre se leva pour s'avancer à sa rencontre avant qu'elle ne quitte l'endroit pour se fondre dans la nuit. Il l'avait déjà vue faire et savait avec quelle déconcertante facilité elle y parvenait. Curieuse, Ellana lui emboîta le pas.

- Je t’ai observée, lâcha-t-il brusquement sans aucune précision afin de voir la réaction de l'assassin.

La déclaration soudaine stopa dans son élan celle qu'il venait d'interpeller, mais elle ne prononça pas un mot, se contentant de se retourner avec une économie de gestes qui dénotait d'une grande habitude des combats. Une fraction de seconde plus tard, dans l'ombre de la capuche qui dissimulait son visage, les deux Marchombres rencontrèrent pourtant un regard stupéfiant d'une froide couleur bleu glacier. Un regard qui fit frissonner Ellana. Simplement grâce à cela, la jeune fille venait de saisir que la femme qui leur faisait face était bien plus que dangereuse. Ils devaient se montrer très prudents et ne pas oublier qu'elle possédait sensiblement les mêmes facultés qu'eux. ILS ne devaient pas oublier. Elle espérait que son mentor n'omettrait pas ce « léger détail ». Son mentor qu’elle n’avait pas vu esquisser un léger mouvement de surprise.

- Tu ferais une parfaite Marchombre avec l’enseignement d’un bon maître.

A ces mots, un sourire ironique qu'ils n'aperçurent pas naquit sur les lèvres de l'elfe.

- Non merci, répondit-elle sarcastiquement, d'une voix chaude et grave. J’en ai déjà eu deux et n’ai aucune envie de tomber sous la coupe d’un troisième à mon âge.

Ellana fut surprise par le timbre de sa voix. Étant donné sa réputation proprement terrifiante et l'éclat aussi glacial qu'acéré de son regard, elle l'imaginait bien plus froide.

- Tu fais donc partie de cette guilde qui a pris son essor il y a peu... essaya de deviner Jilano.

Ce n’était pas une question, pourtant elle y répondit d’un mot.

- Non.

Le maître et son élève attendirent une précision qui ne vint pas, ce qui ne sembla pas étonner le Marchombre. Sans un mot de plus, l’elfe leur tourna le dos et franchit la porte avant de s’éloigner, sa cape noire claquant dans le vent nocturne comme un mauvais présage. Il ne tenta pas de la retenir. Il avait compris. Compris que ce serait aussi vain qu’essayer d’emprisonner les nuages ou le vent. Ils se retrouveraient tôt ou tard. Il en était sûr. Le destin n’avait pas fini de lui faire croiser la route de cette femme, si semblable à Ellana… Et pourtant si différente.

- Pourquoi ne pas l’avoir retenue ? questionna cette dernière lorsque l’assassin fut hors de vue.

- Il y a deux réponses à cette question, comme à toutes les questions. Celle du savant et celle du poète. Laquelle veux-tu entendre en premier ?

Et voilà. Elle se disait aussi que c'était étrange qu'il ait répondu sans détour à toutes ses interrogations du jour. La jeune fille soupira.

- Celle du poète.

- Aussi insaisissable qu’un songe, il est vain d’essayer de retenir qui ne veut s’attacher.

L’apprentie sembla méditer cette réponse, puis demanda :

- Et celle du savant ?

- Il y encore peu d’assassins en ville et nous savons tout. Nous pourrons la retrouver même si elle est discrète.

Quelques secondes passèrent avant qu'il ne reprenne :

- Allons viens, jeune apprentie. Nous avons du travail cette nuit.

Docile, Ellana suivit le Marchombre, mais son esprit était troublé. Mille questions s’y entrechoquaient, ayant un unique sujet : celle qui venait de les quitter. Qui était-elle vraiment ? Quel était son parcours ? Qui étaient ses maîtres et comment pouvait-elle en avoir eu deux ? Comment pouvait-on se revendiquer assassin ? La jeune fille était certaine que toutes ces interrogations ne trouveraient pas solution dans les deux habituelles réponses.

- Cesse de t’interroger à son propos, lui dit alors Jilano comme s’il avait lu ses pensées. Nous saurons tout en temps utile.

1 Seija : grand félin au pelage noir et aux griffes redoutables. Se prononce « séya »