Gundam Wing Fan Fiction ❯ Prince de mes rêves ❯ Chapter 3

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Prince de mes rêves

par Erynna

3. Celui qui subissait la vengeance du Dragon (1e partie)

Les sourcils froncés et l'œil critique, Wufei observait sa machine à écrire depuis près de dix minutes. Ses doigts en suspens au-dessus du clavier hésitaient à enfoncer les dernières touches. Devait-il laisser ses lecteurs dans le doute une année de plus, le temps d'écrire et de publier la suite des aventures de son héroïne ? Ou bien allait-il leur accorder la trop rare faveur de soulager leurs doutes et leurs interrogations ?
Il prit le temps de peser le pour et le contre, hochant la tête d'un côté, puis de l'autre, étouffant enfin un bâillement ennuyé et plongeant la main dans la coupelle qui se trouvait toujours à sa portée quand il travaillait. Il s'empara d'un carré de chocolat noir et le glissa dans sa bouche. Croquant, puis bien vite fondant, son goût légèrement amer rehaussé par les éclats d'orange confite qui le piquetaient. Wufei était à peu près sûr qu'en plus de ses vertus aphrodisiaques, le chocolat avait le don de stimuler son imagination...
- Un prétexte comme un autre pour justifier mon chocoholisme, se moqua-t-il à voix haute.
Rassemblant son courage, il relut pour la vingtième fois les paragraphes qui attendaient au milieu de la feuille.

Elle demeura longuement prosternée devant le corps sans vie de Jiao-Long. Ses yeux hantés par le chagrin s'attardèrent sur les cheveux noirs mêlés de pluie et de boue. Sur le visage pâle aux traits tuméfiés. Sur les longs doigts fins enfoncés dans la terre. Sur la blessure béant au milieu du torse, large ouverture écarlate laissant échapper ses entrailles, son souffle vital... son âme.
Lorsque la brume du crépuscule eut enveloppé les montagnes et que les premières étoiles brillèrent dans le velours sombre du ciel, Nataku souleva la poétesse dans ses bras et porta le cadavre à l'intérieur du temple.
Avec révérence, elle posa ses lèvres sur le front humide et froid de son amie.
"Pardonne-moi, Jiao-Long. Pardonne-moi de ne pas avoir su te protéger, de ne pas avoir été digne de ton sacrifice. Tu as donné ta vie pour sauver la mienne. Tu as toujours eu foi en moi. Tu étais la lumière qui m'a guidée hors de mes ténèbres. Tu étais ma lumière... mon âme sœur... Dis-moi, où trouverai-je la force d'avancer sur le chemin de ma rédemption si tu n'es pas à mes côtés ? J'ai besoin de toi, Jiao-Long. J'espère que tu pardonneras ce que je m'apprête à faire."
Et ce disant, la guerrière pressa de deux coups brefs les points vitaux à la base de son cou. Elle s'effondra près de la morte, un filet de sang s'écoulant de son nez et maculant sa bouche.

Un sourire sadique ourla les lèvres de Wufei. Ses doigts s'abattirent sur les touches du clavier et, pendant quelques secondes, on n'entendit plus que leur martèlement sec dans la pièce. Puis il se renversa en arrière et s'étira de tout son long avant de reporter son attention sur les derniers mots de la page.

Alors que le feu de la vie quittait les yeux noirs de Nataku, son dernier souffle monta vers le silence de la nuit.
"Attends-moi, Jiao-Long... Je t'aime."

Pour un peu, Wufei se serait applaudi.
- Triturez bien vos méninges, mes chers lecteurs, ricana-t-il.
Il retira ensuite la feuille de la machine avec un geste emphatique et solennel et la déposa sur la pile de papier posée près de lui. L'intensité du soulagement qu'il éprouva manqua le faire trembler. Il avait fini. Le troisième tome de sa longue saga se trouvait devant ses yeux, prêt à être publié... enfin, presque. Mais les innombrables révisions qu'il se promettait de faire avant de livrer le tout à sa maison d'édition ne comptaient pas vraiment, n'est-ce pas ? Il refoula le pincement au cœur qu'il ressentit lorsque se forma dans son esprit le mot éditeur. Hors de question que le souvenir de Treize vînt gâcher ce moment.
La carrière littéraire de Chang Wufei avait débuté quelques six ans plus tôt lorsque, à peine âgé de dix-neuf ans, il avait sorti le premier volet d'une série intitulée Princesse Dragon. La critique avait unanimement salué son écriture vive et enlevée, son style inclassable et la manière dont son histoire oscillait entre un humour débridé et une émotion au diapason. Il semblait couler derrière ses phrases un courant mystérieux et fascinant qui emportait le lecteur des steppes venteuses aux massifs brumeux de la Chine ancienne, sur les traces de Nataku, jeune guerrière marquée du sceau du Dragon.
La tendresse qu'éprouvait Wufei pour son propre personnage n'avait d'égale que l'admiration que Nataku exerçait sur lui. Il avait mis en elle tant de lui-même que la mise en abîme devenait vertigineuse. En même temps, elle représentait tout ce qu'il aurait voulu être, force, détermination, audace. Héritière d'un clan décimé, souveraine d'un peuple de fantômes, justicière de mères et d'orphelins tués au nom d'une terre qu'on lui avait volée, puis détruite... Wufei n'avait certes pas lésiné sur les ressorts dramatiques ni sur le côté sombre de son héroïne, symbolisé par le sabre taché de sang qui pendait à sa ceinture et battait contre son flanc.
Mais son véritable génie, son coup de maître, se situait ailleurs. Dès les premiers chapitres, Wufei avait créé un compagnon de voyage pour Nataku. Pas un guerrier plein de ruses et de ressources qui aurait protégé la princesse déchue, mais une jeune poétesse, innocente et intrépide. Le personnage de Jiao-Long, qu'il avait d'abord prévu d'éliminer par souci scénaristique, avait pris depuis une ampleur extraordinaire, illuminant de sa présence le chemin semé de haine et de violence de Nataku.
Il était même allé plus loin, égrenant nombre d'indices et de sous-entendus sur l'amitié que se portaient les deux femmes, mais ne dépassant jamais les frontières de la suggestion. Il trouvait bien plus amusant de laisser le champ libre à l'imagination et à la frustration de ses lecteurs, ou plutôt lectrices. Car la personnalité et la force de caractère des héroïnes lui avait très tôt valu l'engouement des cénacles féministes et homosexuels. En seulement deux livres, Nataku était devenue l'icône lesbienne la plus représentative des cinq dernières années.
Quelle ironie lorsqu'on savait combien Wufei méprisait la gent féminine...
Il n'existait sur Terre que deux femmes trouvant grâce à ses yeux : Hilde Schbeiker, peintre et fiancée de son meilleur ami Duo Maxwell, et Melissa Constantino, ex-secrétaire de Treize si celui-ci avait mis ses menaces à exécution et présidente de son fan-club, baptisé Onna ! par dérision... Ses fans avaient un humour parfois douteux.
Il jeta un ultime coup d'œil à ce petit je t'aime apparemment anodin et qui traînait au bas de la feuille... En espérant que les parangons de vertu qui hantaient les couloirs de la maison d'édition ne le censureraient pas, ses lecteurs auraient de quoi cogiter jusqu'au prochain tome.
Son sourire se perdit dans des pensées plus sombres. Cela faisait une semaine qu'il était parti de chez lui en claquant la porte et souhaitant ne jamais avoir à se retourner. Une semaine que Treize faisait partie de l'histoire ancienne... du moins dans sa vie privée.
- Si seulement il n'était pas mon éditeur ! soupira-t-il.
Il remercia une fois de plus Duo Maxwell de l'avoir pris en pitié et recueilli dans les luxueux appartements qu'il partageait avec Hilde.
Etre un acteur populaire payait bien mieux qu'être un écrivain populaire, songea Wufei en promenant son regard dans la chambre qui lui avait échu. Hilde et Duo étaient en ce moment dans leur période japonaise et avaient fait refaire toute la décoration en conséquence. Ne manquaient plus que les cloisons de papier. Il grimaça légèrement en apercevant son futon roulé contre le mur. Que n'aurait-il pas donné pour avoir un vrai lit avec sommier, matelas et tout ce qui allait avec !
Y compris certain jeune homme aux yeux bleu sombre et au corps de dieu...
- Nooon ! gémit-il. Je jure que je n'ai pas voulu penser à ça !
Et pourtant, le fait était là.

* * *

Il traversa le couloir qui menait à l'atelier de Hilde en se frottant les yeux. Cinq heures passées devant sa machine à écrire avaient achevé de brouiller sa vision. Il s'arrêta et s'appuya contre le mur, le temps de récupérer et de faire le vide dans sa tête. Son livre était terminé, cependant son esprit rejouait encore et encore les scènes qu'il venait d'écrire. C'était... déstabilisant. Comme si peu à peu son œuvre et ses personnages s'étaient détachés de lui pour vivre une existence propre...
Des éclats de voix le firent soudain sursauter et il passa la porte de l'atelier.
Bon d'accord, techniquement ce n'étaient pas des éclats de voix.
C'était un troupeau entier de veaux séparés de leur mère avant le temps du sevrage et que l'on menait tous en chœur à l'abattoir.
Wufei se retint de pulvériser à coups de marteau la chaîne hi-fi qui trônait dans un coin de la pièce. Au lieu de cela, il conserva son calme, se plaqua les mains sur les oreilles et poussa un soupir déchirant.
Hilde Schbeiker, vingt-six ans, brune piquante et dotée d'une énergie à revendre, balançait sur une toile de grands coups de pinceau et dodelinait de la tête au rythme de la... hum, musique.
- Tourne encore un peu la tête à droite, mon ange! hurla-t-elle entre deux plâtrages de rose de garance.
Duo Maxwell roula des yeux et pesta contre la jeune artiste.
- Hil, je te signale que j'ai un torticolis et que je fais ce que je peux !
Néanmoins il s'exécuta et ajouta une grimace de son cru pour bien marquer sa souffrance.
- Bouge plus, c'est parfait ! Hé, Wu-babe !! s'écria Hilde en apercevant le Chinois.
Celui-ci passa devant elle sans lui accorder un regard et se dirigea vers la chaîne hi-fi. Négligeant le bouton d'arrêt, il se glissa sous le meuble à quatre pattes et arracha la prise. Le silence qui s'ensuivit fut presque assourdissant.
- M'ENFIN ! protesta le couple.
- Quoi ?
- Wu-babe, tu viens de couper la source de mon inspiration, dit la brune en lui lançant un regard mauvais.
- Je viens de sauver vos capacités auditives, tu veux dire !
- Et puis je croyais que c'était moi, ta source d'inspiration, glissa Duo, un brin désappointé.
- Duo, toi tu es ma muse, répliqua Hilde. En revanche, System Of A Down est ma source d'inspiration.
- Tu joues sur les mots, Hil... Mais je veux bien t'accorder que Sys' est un groupe d'enfer.
- Tu l'as dit, mon ange ! Alors Wu-babe, que t'arrive-t-il pour que tu oses te risquer dans mon antre de perdition ? demanda-t-elle en se tournant vers Wufei, son pinceau toujours dans la main et pointé sur ledit jeune homme.
- Je viens de terminer, dit-il simplement en se relevant. Et arrête de m'appeler Wu-babe.
- Hé, on a passé un contrat ! J'ai le droit de t'appeler Wu-babe et tu as celui de poser pour moi !
- Je n'ai jamais posé pour toi, Hilde.
- Tu sais que nous pouvons facilement y remédier, maintenant que tu habites ici, dit-elle en haussant un sourcil d'une manière suggestive.
Wufei eut une moue d'appréhension.
- On verra plus tard.
Un bras s'enroula soudain autour de ses épaules.
- Alors vieux frère, ça y est ? Ton bouquin est vraiment fini ? s'enquit Duo en s'appuyant lourdement sur lui, son torticolis oublié.
- Bouclé et prêt à être imprimé.
- Te connaissant, tu le reliras et le corrigeras jusqu'à ce que les feuilles tombent en lambeaux.
- Tu parles comme si j'étais un maniaque de la relecture !
- Wu-babe, TU es un maniaque de la relecture, intervint Hilde. Assume !
La jeune femme recula de quelques pas pour examiner sa toile.
- Mmm... laissa-t-elle échapper d'un ton pensif au bout de quelques secondes. Je ne veux pas me vanter, mais ce tableau promet d'avoir de la gueule.
Wufei s'approcha à son tour, suivi de Duo.
- Hilde... dit-t-il en plissant le front.
- Oui ?
- Qu'est-ce que ça représente ?
- Fei, c'est mon portrait, expliqua Duo à voix basse.
- ...
- Quoi, tu n'aimes pas mon travail ? fit Hilde.
- J'ai juste une question.
- Pose toujours.
- Où diable as-tu dessiné Duo dans ce magma de couleurs ???
- AAARGH !!!
- Cours Fei-Fei, cours, sourit Duo en regardant sa colérique fiancée s'élancer à la poursuite de son meilleur ami.
Ses yeux se posèrent à nouveau sur le tableau.
- Je n'en suis pas sûr, mais on dirait une de mes oreilles, dans ce coin-là, murmura-t-il d'un ton dubitatif.

* * *

- Je voudrais porter un toast à mes deux artistes préférés ! déclara Duo en levant bien haut sa coupe de champagne. Longue vie à votre créativité !
Le jeune Américain la fit teinter contre celles de Hilde et Wufei avant de la vider d'un trait.
- Ce truc se boit comme du petit lait, conclut-t-il tandis que les autres sirotaient leur verre à petites gorgées.
Wufei soupira, le nez dans les bulles de champagne. Une branche de ses lunettes était cassée, la manche de sa chemise déchirée, de longues traînées de peinture décoraient le reste de ses vêtements et il avait l'impression que ses cheveux étaient ébouriffés au point de se dresser tout droit sur sa tête. La tornade Schbeiker ne faisait jamais les choses à moitié. Bah, le cyclone Chang non plus, et cette pensée suffit à le réconforter. Sans compter bien sûr la touche impayable qu'arborait Hilde, encore plus colorée que ses tableaux.
Seul Duo avait échappé au massacre. Quelle injustice, songea Wufei. La mise impeccable du jeune homme était une insulte à leur aspect dépenaillé. Si Hilde était d'accord, et il était certain de l'appui de son amie...
- N'y pense même pas, Fei, avertit Duo en captant le regard calculateur du Chinois. Toi non plus, Hil chérie.
- Mais mon ange... protesta Hilde.
Wufei haussa les épaules. Il viendrait bien un moment où la vigilance de Duo se relâcherait.
Ils se connaissaient depuis leur entrée à l'université. Comme souvent dans les amitiés de longue date, le courant n'était pas passé dès le premier regard. Wufei dut s'avouer qu'il y était un peu pour quelque chose, et que Duo avait montré une patience angélique à son égard et une compréhension plus grande encore. Imaginez-vous en train de partager votre chambre d'étudiant de dix-huit mètres carrés avec un jeune homme hargneux, renfermé, arrogant et soupe au lait. Et ne parlons même pas du lourd secret qui pesait sur ses minces épaules, celui d'avoir plaqué à tout juste quinze ans famille et amis pour vivre avec un homme de dix ans son aîné. Oui, Duo avait fait preuve d'un héroïsme exceptionnel.
Aujourd'hui, l'ancien étudiant en littérature toujours souriant et quelque peu excentrique faisait partie des étoiles montantes du firmament cinématographique. Avec cinq longs métrages à son actif, Duo Maxwell était devenu la star incontestée des films d'action. Chaque scénario ressemblait étrangement au suivant, mais n'est-ce pas dans les vieux pots que l'on fait la meilleure soupe ? Bref, le schéma était des plus classiques : Duo, chevalier des temps modernes et ardent défenseur de la veuve et de l'orphelin, sauvait jeune demoiselle en détresse poursuivie par des vilains pas beaux (mettons de côté James Van Der Beek[1] qui avait fait très bonne impression dans le rôle du psychopathe sourd-muet). Après moult péripéties où les deux acteurs principaux perdaient régulièrement une partie de leur costume, Duo finissait dans un décor exotique sur fond de crépuscule, la demoiselle dans ses bras, son torse dénudé, orné d'écorchures sexy et ses muscles luisants de sueur. Sa longue natte à moitié défaite flottait librement dans son dos, les mèches qui s'en échappaient ondulant au gré des ventilateurs du plateau de tournage. L'étrange couleur améthyste de ses yeux et son sourire vainqueur, un rien canaille, achevaient de faire craquer ses admiratrices.
Au bout du compte, personne ne savait vraiment qui se cachait derrière la façade brillante de l'acteur. Seul Wufei et peut-être Hilde pouvaient se targuer de connaître le véritable Duo Maxwell et tenter d'assembler les milliers de pièces qui semblaient le constituer. L'une d'elles disait que ses sourires n'étaient pas toujours vrais. Une autre affirmait que ses larmes coulaient plus facilement que ses rires. Une autre encore, qu'il n'avait jamais eu de famille et que personne n'avait daigné lui donner de nom. Qu'il s'en était alors choisi un tout seul. Et que lui, le petit orphelin oublié du reste des hommes, s'était juré de rendre à ce nom la gloire qu'il méritait.
Comme il repensait à toutes ces choses, un doux sourire effleura le visage de Wufei. Duo était certainement le meilleur ami que l'on pût souhaiter pour quelqu'un comme lui.
- Fei ? Le jeune écrivain leva les yeux.
- Mmh ?
- Tu cherches à te noyer dans le champagne ou quoi ? demanda railleusement Duo.
- Ça fait plus de cinq minutes que tu as le nez plongé dans ton verre, renchérit Hilde.
- C'est ça, liguez-vous contre moi et payez-vous ma tête, grommela Wufei.
- Si c'est à Treize que tu penses... commença Duo, plus sérieux.
- Non, je ne pensais pas à lui, coupa-t-il d'un ton acerbe. Du moins pas jusqu'à ce que tu y fasses allusion.
- Désolé.
- Tu sais, Wu-babe, je connais un moyen imparable pour soulager ta peine et tourner la page, fit Hilde, l'air de rien.
Wufei lança un regard suspicieux à la jeune femme.
- Et quel est-il ? Hilde se pencha vers lui, un sourire malicieux jouant sur ses lèvres.
- La vengeance.

[1] Acteur jouant le rôle du gentil (et neuneu) Dawson dans la série éponyme.

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